PATERNE DOKOU, À LA FOIS POÈTE, CHERCHEUR ET PLASTICIEN DE L’HÉRITAGE IDENTITAIRE
ARTICLES - DERNIÈRE MISE À JOUR 07/08/2025

À la fois plasticien, poète et chercheur, il occupe une place singulière dans le paysage de l’art contemporain béninois. Son exposition actuelle, Abîme des empreintes, présentée à la Galerie ZATO (Cotonou), offre une lecture dense et saisissante d’un héritage africain en mutation.

ABÎME DES EMPREINTES : UNE EXPOSITION DE PATERNE DOKOU

C’est dans le calme presque feutré de la Galerie ZATO, à Cotonou, que les œuvres de Paterne Dokou s’exposent jusqu’au 16 août 2025. Intitulée Abîme des empreintes, cette exposition marque un jalon important dans son parcours artistique. Elle propose une réflexion sensible et documentée sur les scarifications traditionnelles africaines, en particulier celles de l’ethnie Xwéda dont l’artiste est issu.

Portant lui-même ces marques identitaires sur le visage, l’artiste s’interroge : que reste-t-il de cette tradition aujourd’hui ? Pourquoi ces héritages, autrefois chargés de sens, disparaissent-ils sous l’effet de la modernité et de la mondialisation ? Ses œuvres cherchent à susciter une prise de conscience, par l’image et la matière.

Née d’un long processus de recherche artistique et anthropologique entamé depuis trois ans, cette exposition s’inscrit dans une volonté de transmission culturelle. Chaque pièce – tableau, sculpture, installation – dialogue avec une mémoire fragmentée, parfois douloureuse mais toujours existante. Le cut and paste, procédé central de son art se positionne ici comme une arme de prise de conscience et un moyen réparateur.

Par ailleurs, ce projet s’inscrit dans les Objectifs de développement durable (ODD), notamment celui lié à l’environnement et à la gestion des déchets urbains. Mais ce serait une erreur de le réduire à un projet écologique. Il s’agit avant tout d’un travail d’artiste-chercheur, habité par le besoin de relier le passé, le présent et le futur.

UN PARCOURS ENTRE RÉSILIENCE ET CONSTRUCTION

Né à Cotonou en 1993, Paterne Dokou découvre l’art dans une période de rupture : la mort de sa mère, alors qu’il est encore jeune. Envoyé à Ouidah, il croise le chemin de deux artistes peintres, découvre les couleurs, la toile, l’expression plastique. Le choc est immédiat : la création devient un exutoire, un refuge, un territoire d’exploration.

Autodidacte, il se forme au fil des années, tout en poursuivant un parcours académique remarquable. Il est titulaire d’un master en sciences végétales, d’une licence en sociologie-anthropologie, puis s’engage dans un Master en arts plastiques à l’Université Paris 8. En parallèle, il est certifié artiste visuel professionnel par la Visual Artists Association (Londres).

Son œuvre ne cesse de voyager. De la Fondation Cartier (Paris) à l’Artbox Project de Zürich, en passant par la Suisse Art Expo ou la prochaine exposition prévue à Los Angeles en 2025, il participe à faire rayonner l’art contemporain béninois sur la scène internationale.

Mais Paterne ne se contente pas de produire : il structure. En 2019, il cofonde Afrikan Arts, association dédiée à la promotion des artistes africains. Il crée du lien, initie des projets et développe des formes de collaboration.

👉 Voir la plateforme d’exposition de l’artiste : paternedokou.art

UNE SIGNATURE PLASTIQUE ENTRE RECYCLAGE ET RÉINVENTION

Ce qui distingue profondément Paterne Dokou, c’est sa démarche de création, le Cut and Paste. Cette technique repose sur l’usage de matériaux pauvres ou marginalisés – en particulier le caoutchouc recyclé, récupéré dans les rues ou dans les conduits d’eau de Cotonou.

Ces morceaux de tongs, autrefois utilisés pour boucher les jerricans d’essence frelatée, deviennent sous ses mains des fragments d’histoire. Ils témoignent du trafic d’hydrocarbures entre le Nigéria et le Bénin, des tensions économiques, de la précarité, mais aussi de l’ingéniosité populaire.

Collés sur de la toile de jute préalablement traitée, ces éléments forment des motifs inspirés de la culture Xwéda. L’artiste assimile le support à une peau scarifiée, qu’il marque, entaille, travaille comme un territoire à reconquérir. Dans ce contexte, l’art recyclage n’est pas une fin, mais un outil : celui d’une réappropriation.

Sa pratique donne lieu à des performances. Le corps y est central : le sien, mais aussi celui du spectateur.

UN ARTISTE À SUIVRE DE TRÈS PRÈS

Avec Abîme des empreintes, Paterne Dokou franchit un cap. Il conjugue exigence plastique, cohérence théorique et sincérité humaine. Son œuvre parle à l’œil, mais aussi à l’intelligence et à la mémoire. Elle interroge les couches visibles et invisibles qui composent nos identités collectives.

Son travail s’inscrit dans la dynamique de l’art contemporain béninois qui émerge fortement ces dernières années. Mais il en propose une voie spécifique, mêlant recherche académique, engagement social, et langage visuel affirmé.

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L’exposition se tient à la Galerie ZATO, dans la Haie Vive à Cotonou, jusqu’au 16 août 2025. Une occasion rare de découvrir un artiste béninois en pleine ascension !

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